jeudi 12 juillet 2012

Après Deschamps, le néant ?

Salut à tous,

Le changement de sélectionneur des Bleus devrait engendrer moins de bouleversements que celui qui a eu lieu il y a deux mois à la tête de l'Etat. Le passage de témoin entre Laurent Blanc et Didier Deschamps, soit les deux leaders charismatiques de l’Équipe de France de 1996-2000, c'est un peu comme si Batman succédait à Spiderman : des tronches différentes, des moyens peut-être différents aussi, mais au fond ils se ressemblent pas mal. Ils ont plus de zones d'ombres que leurs statuts de super héros inaltérables semblent indiquer.

Laurent Blanc n'était pas prêt

Être sélectionneur, c'est comme être aux responsabilités d'un pays, et c'est comme passer devant un scanner : plus rien n'échappe à personne. En quelques semaines, mois ou années, et quels que soient les moyens que vous ayez employé pour vous protéger, plus rien n'échappe à l'opinion sur vous. Caractère, méthodes, choix tactiques, sens du management : à la fin d'un mandat de sélectionneur, les cases sont cochées et le bilan ratifié.

Que savait-on de Laurent blanc avant son arrivée à la tête des Bleus ? Qu'il avait été un libéro d'une classe et d'une intelligence énorme, en club comme en sélection, qu'il avait un caractère de leader, que c'était pas le genre à mettre sa cravate sur la tête pour faire rire une assemblée et qu'il avait séduit la France avec son Bordeaux champion de France 2009, un cru offensif et gouleyant. Mais aussi que son aventure en Gironde s'était très mal terminée : son groupe avait très mal vécu l'annonce de son départ début 2010, et il n'avait jamais su relever un groupe qui comptait 9 points d'avance à la trêve avant d'en compter 14 de retard sur le champion marseillais à la fin de la saison.

J'ai déjà fait le bilan sportif de Blanc avec les Bleus. Honorable, plutôt réussi même puisque la France a franchi sa poule, et qu'elle était restée invaincue pendant presque 2 ans. Mais il a mal géré la qualification de son équipe pour les quarts de l'Euro, qui a failli lui échapper. Et on l'a vu jeter à la poubelle tous les jolis préceptes qu'il nous servait à chaque conférence de presse, à propos du beau jeu et de l'importance de maîtriser le jeu, contre l'Espagne. En alignant Debuchy milieu droit et en demandant à deux joueurs seulement de défier la défense espagnole, une hérésie, il a tombé le masque. Par ailleurs en pensant que la force de l'Espagne était forcément son attaque, et pas sa force collective et défensive, il s'est trompé idéologiquement et tactiquement. Admirateur du jeu espagnol, il l'a vu trop beau, imaginant des vagues offensives perpétuelles, alors que c'est très exactement l'inverse. Il a voulu contrer une Espagne qui n'existait pas, et qui au contraire doit être bousculée, bougée, comme l'ont fait le Portugal et l'Italie.

Auparavant, il n'avait pas su mobiliser son équipe, qui se croyait déjà qualifiée avant la Suède, et qui a bien failli se faire sortir bêtement de l'Euro. Comme à Bordeaux, il a montré ses limites de meneur d'homme, là on ne s'attendait pourtant pas à la voir faillir. Après la Suède, il n'a pas réussi à relever son groupe, le confortant dans sa peur en alignant une équipe extrêmement défensive. Tout le monde imaginait que son aura de champion du Monde et d'Europe, de joueur un peu mythique, allait réussir à tenir un groupe. Ça n'a pas été le cas, du moins sur le plan sportif. Je continue de ne pas m'intéresser à l'extra sportif, qui ne concerne par définition pas le sport.

Deschamps a un CV, mais pas de successeurs

Qu'est-ce qui le différencie de Deschamps ? D'abord, l'expérience d'entraîneur. Ferguson avait dit que c'était encore un peu tôt pour Blanc d'être sélectionneur. Comme je l'ai dit auparavant quand je l'ai comparé à Prandelli, il était sans doute l'entraîneur avec l'expérience la moins importante, et une aura de champion ou une bonne image de suffit pas pour diriger un groupe de footballeurs extrêmement talentueux, et donc forcément caractériels. Deschamps, de son côté, vient de boucler sa 9e saison d'entraîneur, et déjà 414 matches dirigés, dont la moitié de gagnés, que ce soit avec Monaco, la Juve ou Marseille, sans parler des titres remportés (une Ligue 1, 4 Coupes de la Ligue, 2 Trophées des Champions, une Serie B et surtout une finale de C1, en 2004). Comparé aux 3 saisons de Blanc à Bordeaux (149 matches), ça fait une sacrée différence. Surtout que les clubs que le Bayonnais a dirigé sont d'un autre calibres que Bordeaux, à la fois sur le plan sportif (même si ça se discute pour Monaco, même à l'époque) que sur le plan du contexte "social". Les supporters bordelais sont aussi gentils et bien élevés que sont nerveux et versatiles ceux de la Juve et surtout ceux de Marseille. Sans parler des stars qui fréquentent ces clubs...

En revanche, Deschamps a plus de problèmes relationnels avec ses dirigeants que son ancien vice capitaine. Il a quitté Monaco et la Juve en de mauvais termes, et est parti de Marseille après avoir vécu trois saisons très pénibles à tenter de collaborer avec José Anigo, la soupape qui permet au club de faire à peu près ce qu'il veut sans que les supporters s'en mêlent. Si Anigo s'en va, c'est la révolution, Deschamps ne pouvait pas gagner. Mais il a réactualisé un palmarès marseillais qui sentait bon le début des années 90, les pin's parlant, les tamagotchis et les shorts trop grands. Bref, sa relation avec Le Graet sera à surveiller.

Pour l'instant, donc, Deschamps n'a pas vraiment connu d'échecs, hormis la dernière saison à Marseille, où il a du faire avec un contexte épouvantable et des moyens financiers proches de ceux de Dijon. Si un entraîneur de ce calibre ne réussit pas à relever un peu plus l’Équipe de France, qui le fera derrière lui ? Derrière Blanc et Deschamps, c'est le néant. Dans la génération 98, ils sont les seuls à réaliser une carrière d'entraîneur ne serait-ce que potable. Les autres sont pour la plupart devenus des chroniqueurs bavards et donneurs de leçons, gonflés de certitudes grâce à leurs carrières forcément irréprochables (pourtant, Lizarazu ou Dugarry n'ont pas toujours fait les bons choix, si on y regarde bien), particulièrement doués pour le copinage, ce qui a aidé Laurent Blanc à passer à travers les gouttes, on l'a vu. Ça n'a jamais été de sa faute, toujours des joueurs.

La génération des années 80, elle, est essorée, ou presque. Platini a été essayé, Giresse végète dans des pays de quatrième zone, Tigana s'est grillé à Bordeaux, Fernandez... est Fernandez. Alors, qui ? On a cru en Kombouaré, mais son départ en Arabie Saoudite ne l'aidera pas. Pas plus que l'expérience de Paul Le Guen à Oman. Baup a pris le relais à Marseille, Denoueix est à la retraite... Bref, qui ? Depuis le départ d'Hidalgo, en 1984, on a usé huit sélectionneurs, soit un tous les 3 ans et demi. C'est à la fois peu pour construire et beaucoup d'entraîneurs. On a essayé la filière de la DTN, elle a rendu l'âme avec Domenech. On a aussi essayé la filière des "privés" (Santini, Blanc...), sans résultats probants. Et si on arrêtait de penser que la clé venait du sélectionneur et de son pedigree, et pas de la qualité de notre formation, d'un creux générationnel que la France a accumulé entre chaque période faste ? N'est-ce pas naturel qu'il y ait des vallées entre les montagnes ? Croyait-on vraiment que les Bleus allaient toujours tout gagner tout le temps à partir de 98, que les générations allaient s'enchaîner sans que la courbe de performance ne s'en ressente ? Croyait-on vraiment qu'il serait simple de remplacer des Blancs, des Deschamps, des Zidane, dans un pays qui ne sera jamais culturellement l'Allemagne ou l'Italie, capables de sortir des joueurs d'exceptions deux fois plus souvent que nous ? On a mis 15 ans à trouver un nouveau Kopa, 10 ans pour trouver un nouveau Platini. On ne sait pas si le nouveau Zidane attends quelque part qu'on l'appelle, ou qu'on le révèle enfin. Peut-être qu'il n'arrivera jamais, et qu'on gagnera collectivement, comme l'Espagne. Ça ne fait que six ans, après tout. En attendant, et comme prévu, les Gourcuff, Ben Arfa, Nasri, Martin, voire Benzema, en bavent pour justifier une comparaison inutile et destructrice.

Pas de solution miracle

Deschamps ne pourra pas faire plus de miracles que les autres. Croyez-vous qu'Hidalgo était vraiment pour quelque chose dans l'émergence de la génération Platini ? Certes, son palmarès parle pour lui, et ses choix (notamment le carré magique) également, comme il parle pour Jacquet. Mais ce n'est pas lui qui a sélectionné Platoche en Bleu en premier, c'est Stefan Kovacs. Est-ce Hidalgo qui est allé apprendre à Platini ou Genghini à tirer des coup-francs ? Un sélectionneur choisit les meilleurs joueurs qu'il a à sa disposition. Ce n'est pas lui qui les invente, il les trouve là et en fait ce qu'il peut. Contrairement à un entraîneur de club, qui lui est en revanche soumis à des impératifs contractuels et financiers pour constituer son équipe, un sélectionneur ne peut pas acheter un Brésilien ou un Argentin pour compenser un poste faible. Il n'y a pas de bon latéral dans son pays ? Il doit faire avec. Sauf quand t'es sélectionneur dans le Golfe, bien entendu.

Alors bien sûr, Deschamps nous a sorti la tirade de l'exemplarité. La France bien pensante n'aurait pas accepté autre chose. Il était bien obligé, face à une opinion dressée debout, révoltée par l'extrême gravité des faits, de ces gros mots innommables prononcés par ces représentants de la nation. Ridicule, une fois de plus. Il y a les mots, et il y a les actes. Cesare Prandelli, encore lui, avait aussi décidé d'un code de bonne conduite en 2010, en annonçant qu'il ne tolèrerait aucune faute. Pourtant, son attaque à l'Euro, Balotelli-Cassano, ne respire pas forcément le bon goût et la sagesse. Mais le sélectionneur italien a été plus intelligent que son opinion, ce qui nécessite toujours un grand courage, et ce qui n'est pas donné à tout le monde. Il a tenu bon, et ça a payé. Virer Balotelli ? D'accord, mais pour mettre qui ? Ça ne paie pas toujours, non, mais là oui. En entraîneur expérimenté, il sait que le talent, le génie, engendre souvent des caractères orageux, individualistes et égocentriques, comme le furent ceux de Cruyff ou Maradona. Mais le football leur appartient, il suffit de leur donner les clés. Et peu importe s'ils se coiffent comme des aisselles ou qu'ils disent des gros mots. Zidane a été expulsé 14 fois, Dugarry avait envoyé paître les journalistes et était sifflé partout en France pour son attitude désinvolte. La différence, c'est qu'ils gagnaient, voilà. On en revient toujours au jeu. C'est ce qui fait que ces débats sur la supposée exemplarité que les joueurs devraient avoir est inutile, populiste et sans intérêt. Tout dépend des résultats, c'est tout.

En attendant, il faudra qu'on m'explique comment on pourra viser le Mondial 2014 si on se prive de Ribéry, Ménez, M'Vila... parce qu'ils ont dit des gros mots, ce qui arrive partout, tout le temps, dans tous les sports. Si on veut une équipe gentille mais sans génie, qu'on le dise, on retournera directement dans la D2 européenne qu'on a quitté il y a 20 ans.

Allez, à plus tard !

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