dimanche 17 juin 2012

On ne fera pas le voyage ensemble, Mr Roland

Bonjour à tous,

D'ordinaire, ce blog n'est pas spécialement dédié à la rubrique nécrologique, sauf si, un jour, il s'agira de rendre hommage un grand joueur qui nous aura quitté. Et puis les grandes déclarations d'amours post-mortem me mettent toujours un peu mal à l'aise, parce que ça semble un peu systématique : quelqu'un qui nous quitte, c'est forcément quelqu'un de formidable. Et c'est vrai que ça peut paraître cruel de ne faire que relever les défauts de quelqu'un qui vient de mourir, quelqu'il soit. Mais est-ce cruel d'essayer d'être juste ?


Plus de 50 années au sommet

Thierry Roland faisait partie de ces gens qui étaient là, médiatiquement au moins, avant même la naissance de ma génération, celle qui va bientôt franchir la quarantaine. Il y a Jacques Chirac, il y a Pierre Bellemare... ils ne sont quand même pas nombreux, de moins en moins en tous cas, à compter plus de quarante années d'activité consécutives. Thierry Roland était de ceux là.

Imagine-t-on aujourd'hui un journaliste qui débuterait dans la profession à 17 ans, qui couvrirait 13 Coupes du Monde et 9 Euros, et qui incarnerait à ce point le commentaire sportif ? Nous, plus que trentenaires, avons mal connu le mythique Roger Couderc, qui était un de ses maîtres, dont l'accent rugueux nous est rarement parvenu aux oreilles, même par les différentes émissions d'archives. Pour nous, qui naissions au sport dans les années 80, le commentaire sportif, nasillard, pas toujours très fin, c'était Thierry Roland.

Depuis trente ans, rares sont ceux qui ont réussi à le concurrencer sur le plan de la popularité. Thierry Gilardi avait créé un ton, mais il est parti encore plus prématurément, malheureusement. Sa mort, à l'âge si jeune de 49 ans, avait véritablement choqué tous ceux qui s'intéressaient à ce sport, parce que personne ne pouvait le prévoir.

L'incarnation du supporter de base

Thierry Roland avait à ce point incarné le commentaire sportif, du moins dans le foot, puisque Pierre Salviac était un peu son pendant dans le rugby, avant que son boulard légendaire lui fasse perdre sa place sur France Télé, qu'il a même fini d'en incarner toutes les tares. En France, où le sport reste une discipline pénible à laquelle la plupart des enfants se plient à reculons au collège, et où le glorieux perdant est plus populaire que le vainqueur, le supporter de foot inspire, au mieux, un intérêt poli mais mesuré, voire une attitude narquoise, quand ce n'est pas une franche hostilité, à ses congénères moins concernés. Pourquoi ? Il n'y a pas que l'argent excessif ou le mode de vie dépravé. Si c'était le cas, pourquoi tout le monde aimait les footballeurs en 98 ? Ces derniers étaient tout aussi riches et sans cervelle, mais eux gagnaient les matches...

C'est aussi parce que le football, c'est beauf, c'est vilain, c'est crétin. Le supporter de foot aime la bière, il est un peu raciste, un peu misogyne et son niveau culturel n'excède pas celui d'un poulpe qui prédirait l'avenir. Du moins, en apparence. Et qui incarnait le mieux cet être attendrissant mais que les gens bien sur eux n'aimeraient pas forcément côtoyer au long court, parce qu'il est sale, bruyant et qu'il accapare la télé avec son foot alors qu'il y a des émissions tellement plus intelligentes à regarder sur M6 ou la TNT ? Thierry Roland. Il était apparemment beaucoup plus fin et cultivé que ça, mais il le montrait rarement.

Quand quelqu'un imite un commentateur de foot, il ne le sait pas mais il imite Thierry Roland. Suffit de parler fort, un peu du nez, avec un ton répétitif, confondre les Coréens entre eux, insulter les arbitres, surtout quand il est Tunisien, et donc pas capable de diriger un match important, ou de considérer que pour jouer au foot, il vaut mieux avoir du poil au pattes, et vous voilà consacré le nouveau Canteloup. Aimer l’Équipe de France aussi, bien sûr. Thierry Roland était populaire, mais d'après ceux qui ont témoigné en sa faveur durant toute la journée d'hier, c'était parce qu'il parlait vrai, avec un bon sens populaire bien de chez nous. C'était parce qu'il parlait comme tout le monde. C'était bien ça le problème, finalement : on a le sentiment que n'importe quel supporter aurait pu faire la même chose, du moment qu'il était passionné de foot et qu'il aimait les chambres d'hôtels bulgares.

Sa gouaille et son enthousiasme nous faisaient vivre les matches comme personne, même l'ultra enthousiaste Christian Jeanpierre ou le hurlant Denis Balbir, mais avez vous déjà entendu une seule analyse tactique sensée provenant de sa bouche ? Il était ce supporter péremptoire qu'on pouvait croiser dans un bar, ou même sur le même canapé que vous à une soirée foot. Rempli de certitudes en titane récupérées dans les pages de l’Équipe ou le dimanche matin dans Téléfoot, du genre Giroud il est génial, Ménez il sourit pas, Ribéry il est con, Drogba quel génie, etc. Par contre, pour décrire une défense en zone ou expliquer la différence entre un 4-3-3 ou un 4-2-3-1...

Un puit de science

Il était éminemment sympathique, il était drôle aussi, et c'était un puit de science en ce qui concernait le foot, mais aussi d'autres sports comme la boxe, le cyclisme ou le basket, sans parler des anecdotes croustillantes, comme quand il fit passer Jacques Vendroux pour Harald Schumacher au mariage de Patrick Battiston, ou quand il fit remarquer au Club France, une heure avant le match contre la Hongrie lors du Mundial 1978, qu'ils avaient les mêmes maillots que les Hongrois et qu'ils allaient devoir en trouver d'autres... Une autre époque, où les grands évènements sportifs n'étaient pas encore ces machines réglées au millimètre où il est interdit de prendre des photos, en raison des droits...

Mais il y avait un sujet sur lequel il ne concordait pas avec le supporter français moyen, c'était la haine des Anglais : il était fou d'Angleterre, ce dont il ne se vantait pas forcément, tellement ça ne collait finalement pas à son image de Français moyen, qui aurait pâti d'une telle aberration. Il insultait les Coréens, les Africains, les Bulgares... mais pas les Anglais. Juste un Écossais, le fameux arbitre Mr Foote, qu'il avait traité de salaud pour un penalty sifflé contre la France en 1976. Sans même regarder le moindre ralenti, et pour cause : ils n'existaient que sur un plan très sommaire. Aujourd'hui, à l'aune des ultra ralentis, sur la même action, Mr Foote aurait été véritablement un salaud, ou bien un pauvre type insulté à tort... on ne le saura jamais. Mais il a aussi participé à la chasse aux arbitres généralisée qui sévit aujourd'hui, d'une certaine manière. Il l'a même... popularisée. "On peut insulter les arbitres, vu que Thierry Roland le faisait en 76, je l'ai vu aux Enfants de la télé, c'était trop marrant !"

Notre génération s'est éveillée sportivement au son de sa voix, mais depuis elle a eu quand même d'autres occasions de trouver des commentaires différents. Plus fins tactiquement, peut-être trop, sur Canal, par exemple. Mais il faudra attendre encore quelques décennies pour savoir si ce genre de commentateurs plus pointus mais aussi plus sages, plus aseptisés, sans aspérités, se sera généralisé, et surtout seront devenus aussi populaires que Thierry Roland. Peu de chances, a priori.

A plus tard !

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